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  Dixièmes Vendanges
Grappe botrytisée 1994

 

1990-1999 : dix vendanges dans le Layon...Le moment de vous parler des millésimes 98 et 99, et de faire un petit bilan. Dix vendanges de Coteaux du Layon, avec des millésimes "faciles" comme 90, 95, 97, difficiles comme 92, 94, et surtout 98...Pour essayer de mieux comprendre les vins liquoreux, des voyages en Hongrie, en Autriche, en Suisse, des visites en Alsace, à Sauternes, à Gaillac, à Macon, à Vouvray, beaucoup de rencontres, de colloques, de lectures, d'échanges, de recherches, d'écriture, et de dégustations.... Des résultats qui font plaisir, une certaine reconnaissance, des ventes à l'export encourageantes, mais aussi des oppositions farouches, des débats enragés, un équilibre précaire de l'exploitation... Les deux derniers millésimes ont aussi été une source décisive de réflexion.

  Maria Juby 1943

1998 : juillet très couvert, peu de soleil, août brûle des raisins dans sa première quinzaine, puis retourne au gris et humide, septembre un déluge, jamais plus de 4 jours sans pluie jusqu'à début novembre. Nous avons attendu, trié, jeté, beaucoup jeté, pour obtenir une cuvée de liquoreux à 21% potentiels*, mais ne représentant que le tiers de la vendange de chenin de 97, et avec une concentration moyenne inférieure.

1999 : très belle préparation en juillet-août, qui permet aux raisins de bien mieux résister aux trombes de septembre. Un volume inférieur à 97, mais correct, avec une moyenne potentielle de 21% également.

Ces neuf années d'expériences diverses m'ont amené à émettre quelques hypothèses, et aussi, disons le, m'ont forgé des convictions, les voici.

    LA PLAIE DES LIQUOREUX EN FRANCE, C'EST LA CHAPTALISATION
  Je pense que cette remarque ne s'applique pas qu'aux liquoreux ! mais là, je vous en ferais dix pages, donc je me refrène. Je crois que la France (exceptées les Vendanges Tardives et Sélections de Grains Nobles d'Alsace), qui se veut le phare des grands vins dans le monde, est un des seuls pays où la chaptalisation des liquoreux est permise, depuis les années 20. Les conséquences sont multiples, catastrophiques, et largement sous-estimées par les consommateurs. Alexandre de Lur Saluces, dans un livre sorti récemment et que j'engage vivement à lire (la morale d'Yquem, Grasset), explique : "On a calculé qu'on perd la moitié du volume (de moût) en recherchant ces deux degrés (de 18 à 20%, sans chaptalisation)". Or j'estime, d'après plusieurs données, certaines chiffrées, certaines vécues, que pratiquement 95% des liquoreux en France sont chaptalisés, dont 50% environ surchaptalisés.
     
    Résultats :
    QUALITE :
  Fin des vendanges 1943 rien à voir. Ce que l'on cherche par la concentration naturelle, ce n'est pas ce que donnent des sucres exogènes : plus de sucres (qui ne sont pas les mêmes, et se goûtent différemment), plus d'alcool. Or on veut plus de matière, des arômes confits qui évoluent merveilleusement avec le temps, en particulier ceux dus au botrytis. En général, un vin issu de botrytis va se stabiliser plus facilement seul qu'un vin fabriqué : donc moins de soufre. Conséquences de la domination des liquoreux chaptalisés sur le marché : trois familles de consommateurs de ces vins : ceux qui ne veulent plus entendre parler des liquoreux (trop d'alcool, pâteux, soufrés) ; ceux qui s'y font...et ceux qui boivent les moins mauvais des fabriqués, et qui du coup ont comme référence gustative : liquoreux = blanc sec + sucre.
     
    QUANTITE :
    il faut inverser le raisonnement habituel, qui reflète bien la pratique dominante : plutôt que de considérer que la norme est la chaptalisation même "réglementaire" ("on perd la moitié du volume si on ne chaptalise pas"), considérons que c'est un non-sens dans notre rapport à la nature, une absurdité gustative et une erreur morale, de chaptaliser ces vins : on peut dire alors : ce qui est normal c'est de faire 10/15 Hl à l'Ha, mais si on "fabrique", on double ce volume, au minimum. En fait, on fait plus que doubler, car le sucre apporte un volume supplémentaire (rendement = environ 50%, 100kg donnent 55litres, ce qui n'est pas négligeable sur des volumes importants). Les mêmes raisins vendangés à 20% par concentration naturelle donnant 100 litres de moût, donneront 200 litres s'ils sont cueillis à 17.5%. Ajoutez à ces 200 litres les 8.5 kg de sucre légaux permettant d'atteindre les 20%, vous obtenez 205 litres à 20%..... Conséquence immédiate : il y a bien trop de "liquoreux" sur le marché. Naturellement, un moëlleux-liquoreux est un vin rare, dont les volumes fluctuent terriblement d'une année sur l'autre. La chaptalisation permet de lisser l'effet millésime, et de banaliser terriblement ces vins dans l'esprit du consommateur. Ce n'est pas sans effets sur les conditions de commercialisation...
     
    RENTABILITE :
    la poudre blanche, c'est dur de s'en passer car dans les sacs de 25KG, en réalité il y a une mine d'or. Sans chiffrer les façons supplémentaires très coûteuses à la vigne nécessaires pour obtenir une surmaturation de qualité (ébourgeonnages, taille en vert, effeuillages..), venons-en aux vendanges : pour faire du 20% nature sur des vignes adultes, une équipe de 10 fait au grand maximum 2 barriques/jour, au grain à grain = 440 l, = 44 l/personne, et au moins 4 passages. Si vous vendangez à 18%, deux passages, trois maximum, suffisent, et vous ne faites pas de grain à grain, vous vendangez beaucoup plus vite. Le gain en salaires est exponentiel... Et le clou du spectacle : dans mon exemple, l'utilisation de 8.5kg de sucre coûte 100F, et génère pour un prix de vente égal de, mettons, 200F/l, un CA supplémentaire de : 21000 F. Ce qui explique pas mal de choses... y compris l'aspect tabou de la question.
     
    REGLEMENTATION :
    la réglementation française est inversée par rapport à l'allemande, pour les liquoreux. C'est simple, elle est basée sur la chaptalisation, non sur la botrytisation. En Allemagne, qui, fait peu connu en France, est considérée par bien des amateurs du monde comme un berceau des plus grands liquoreux, comme la Hongrie et l'Autriche, on reconnaît que plus un vin est concentré par le botrytis, moins il peut avoir d'alcool acquis : c'est une vérité œnologique incontournable. Pour les TBA (les plus concentrés, comme Maria Juby) le % acquis* minimum demandé est de ....5.5%. L'équilibre est sur la matière, les arômes, l'acidité...Mais en France, on a le culte de l'alcool. Dans le Layon, c'était donc l'inverse jusqu'à il y a très peu de temps, un layon "de base" devait faire 11%, un "qualitatif" (village, 1/4 de Chaume) 12% !! La profession commence à se rendre compte du caractère absurde et obscène de ce règlement, et est en train de ramener le degré minimum pour toutes nos appellations de liquoreux à 11%...C'est déjà mieux ! Mais combien d'années encore pour mettre pleinement la vérité du botrytis dans la loi ?
     
    IMAGE :
    Dans les conditions actuelles de (sur)chaptalisation, les liquoreux ne représentent "que" 1% des vins d'AOC Mais en fait ce 1% n'est absolument pas obtenu naturellement. Mon estimation sur les liquoreux obtenus "naturellement" est qu'au grand maximum ils ne représentent que 5% des liquoreux, soit 5% de ces 1 %…Ces chiffres peuvent paraître fastidieux, mais ils ont l'avantage de remettre les choses à leur place. Avant la chaptalisation, les liquoreux étaient perçus à juste titre comme des perles rares, des merveilles que seules une volonté opiniâtre, une passion du vigneron pouvaient arracher, très inégalement selon les années, à la nature…Aujourd'hui, pour la plupart, un liquoreux, c'est "un vin sucré". Or pour moi, l'essentiel dans un liquoreux n'est pas..le sucre ! L'essentiel, c'est la magie de la transformation totale obtenue par la concentration naturelle (botrytis-passerillage) sur la matière du raisin. C'est la pierre philosophale qui transmute le raisin, puis les arômes, les saveurs, la structure du vin qu'il fait naître. Là est le vrai tour de magie des liquoreux, (qui fait disparaître la moitié de la vendange !), et qu'aucun enrichissement artificiel ne peut reproduire. Or par ces pratiques "d'enrichissement" ces vins, de magiques qu'ils étaient, sont devenus banalement "sur-naturels". Tant qu'on pourra trouver des "liquoreux" en Grande Distribution à 50F la bouteille, tant que les liquoreux "enrichis" domineront le marché, l'image de ces vins sera brouillée, abîmée, et l'immense majorité des amateurs auront bien du mal à apprécier la vraie nature des liquoreux "naturels".
     
    BILAN :
    Du fait de la chaptalisation, pratique majoritaire, la production, la vente, la rentabilisation de liquoreux nature est extrêmement difficile en France. Les conditions de concurrence sont faussées. Le principal marché de ces vins est l'export, simplement parce que les amateurs étrangers ont de toutes autres références quant aux liquoreux dans le monde. Les références gustatives et budgétaires de l'énorme majorité du marché potentiel en France, et aussi d'une partie des "leaders d'opinion" (presse spécialisée etc....) sont biaisées et amènent les amateurs français à être très surpris par les goûts et équilibres de ces vins, à ne pas savoir comment ni quand les apprécier, et à considérer que les prix frôlent l'escroquerie, alors qu'ils ne rechignent pas à payer deux fois plus chers certains vins produits avec des rendements triples. Pour le Layon c'est encore pire, nous n'avons pas eu d'Yquem dans la région, nous sommes tombés très bas tant en qualité qu'en notoriété. Ce qui nous met dans une spirale infernale : l'exigence qualitative n'est pas tenable à terme si on ne peut valoriser ces vins, financer les mauvaises années avec les bonnes, en vivre. Si les producteurs ne parviennent pas à convaincre le marché d'un niveau de prix correct, ils n'ont d'autre solution que de revenir à la chaptalisation de la majorité de leur production : c'est ce qui s'est passé, en particulier dans le Layon, depuis des dizaines d'années. Le tableau que je brosse n'est pas en retard de dix ans. Il est heureusement exact que depuis une quinzaine d'années, sous l'impulsion d'une trentaine de vignerons, le niveau tend à s'améliorer, mais donnons un chiffre: les volumes de Grains Nobles (mini 17.5% nature contrôlés) recensés par l'INAO au moment des vendanges représentent moins de 2% du volume total de liquoreux vendangés dans le Layon....
     
    LES COTEAUX DU LAYON SONT UN GRAND TERROIR A LIQUOREUX BOTRYTISES
    Planter de la vigne pour faire du vin , c'est un fait humain. Le concept de terroir n'existe pas en dehors de l'homme, la valorisation d'un terroir ne se fait pas sans des hommes. Du XII au XVIIème siècles, notre région a été considérée comme un très grand terroir à blancs, et à liquoreux en particulier au XVIIème. L'histoire a ruiné cette réputation jusqu'à nos jours. Certains voudraient ne voir dans le Layon qu'un petit terroir à liquoreux de second ordre. C'est tout l'inverse. Limite nord de la vigne, cépage tardif et acide sensible au botrytis, coteaux schisteux exposés au sud, présence d'une rivière, d'un fleuve, influence océanique apportant une hygrométrie marquée, mais reliefs et microclimat induisant une moyenne pluviométrique faible, avec des vents soutenus très fréquents : tout est en place pour une botrytisation régulière et très puissante, dans les meilleurs conditions qualitatives possibles. Le Layon, avec le chenin, est un terroir tout à fait exceptionnel à liquoreux botrytisés, un terroir de prédilection pour la pourriture noble, pour peu que des vignerons parviennent à sa mise en valeur.
     
    ACCOMPAGNER LES MILLESIMES
    Quand j'ai fait les cuvées "Maria Juby" et "Après-Minuit", de 94 à 97, je n'ai rien fait d'autre que des tries de très beau botrytis grain à grain, que me permettaient ces millésimes. Cela a donné des vins entièrement naturels mais inhabituels en France, et sur d'autres équilibres que ceux obtenus par chaptalisation. La grande restauration, quelques amateurs, et l'export ont en général adoré, parce qu'ils sont gourmands et boivent avec leurs papilles, sans avoir les yeux fixés sur la soi-disant tradition, la réglementation, et qu'ils ont d'autres références. Une partie de la profession a protesté, se sentant remise en cause, "ce n'était pas du Layon", ainsi que quelques journalistes qui se sont imaginés les gardiens du temple de l'appellation , ont confondu leur métier avec celui de prof, quand ils ne se sont pas pris pour des vignerons, et ont inventé la fable stupide de la "course à la concentration". Aujourd'hui, je pense que je n'ai pas vraiment réalisé quels vins nous faisions, avec quelques collègues. Cela nous semblait normal de sortir des 24%, des 28% (diminution du volume, de 18% à 27-30% ?), avec un botrytis très pur, et, sous la pression du niveau zéro de la notoriété de l'appellation, dans une certaine méconnaissance des liquoreux dans le monde, j'estime que nous avons vendu, et vendons cela une poignée de cerises, même si nos prix en ont fait hurler quelques uns (toujours les mêmes...). Puis sont arrivés 98 et 99. J'ai fait le choix, ces deux années, de ne faire avec mes chenins que du liquoreux, toujours sans chaptaliser, en triant de façon impitoyable les baies, car ma conviction est que mes terroirs sont d'abord des terroirs à vins botrytisés Sur ces deux millésimes, la moyenne de ma vendange de chenin est à 21%. Loin de moi l'intention de phagocyter l'image d'Yquem, mais c'est autour de cela que tourne Yquem. Il faut se rendre à l'évidence : une moyenne de 21% nature, c'est déjà extrêmement difficile à obtenir, c'est déjà de l'ordre de l'exceptionnel, si bien sûr la netteté du fruit est là. Je pense donc qu'à l'avenir, je réserverai les noms des cuvées "Maria Juby" et "Après-Minuit" à ces vins encore plus rares issus de tries si concentrées par le botrytis qu'ils sont sur d'autres équilibres, mais que vous retrouverez dès que l'occasion s'en représentera (remarquez, on ne sait jamais, si la planète se réchauffe encore..). Et 20-21% sera l'exception vers laquelle je vais tendre, mais tous les ans...ce sera ma sélection de grains nobles. Mais là aussi, le millésime tranchera, et cet objectif n'exclut pas, en fonction de la situation, d'avoir d'autres cuvées, non botrytisées, demi-sec...comme j'ai déjà fait certaines années. Je ne veux pas construire une "gamme", je veux accompagner les millésimes et mes terroirs, et essayer de leur donner la meilleure expression que la nature le permet.
    Patrick Baudouin
     
   

*21% potentiels : Les levures transforment les sucres en alcool, totalement quand il s'agit de vins secs, partiellement quand il s'agit de vins liquoreux. A la vendange, on mesure la quantité de sucres contenue dans le jus des raisins cueillis, et on calcule le potentiel d'alcool qui en découle, potentiel qui ne sera donc pas totalement réalisé en cas de vins liquoreux. On part d'une valeur moyenne (en réalité variable) : il faut 17g de sucre par litre de moût pour obtenir 1 degré d'alcool. 21% potentiels à la vendange = 361g de sucres par litre.

* alcool acquis : la fermentation des moûts de raisins très riches ne peut transformer tous les sucres en alcool, les levures ne pouvant continuer à vivre dans un milieu trop alcoolisé pour elles ; et de plus elles sont souvent très gènées dans leur activité par la présence de molécules produites par le botrytis. Reprenons l'exemple d'un moût de 361g de sucres par litre, soit 21% potentiels. Si les levures ne parviennent à transformer en alcool que 170g de sucres, le vin issu de cette fermentation aura 10% d'alcool acquis, et 191 g de sucres résiduels (soit 11% d'alcool potentiels non réalisés).