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Les rapports de l'homme à son biotope me font penser aux
pignots que j'ai vu cet été dans le bassin d'Arcachon,
en allant sur un parc avec un ostréiculteur. Les pignots,
ce sont des piquets de jeunes pins mis en place par les ostréiculteurs
pour délimiter les parcs à huîtres. Ils sont
colonisés en trois étages d'espèces vivantes
adaptées chacune aux variations de niveau de l'océan.
En quatre à cinq ans, sous le poids et par l'action des espèces
qui ont fait de lui leur biotope, et sous le coup des vagues, le
pignot perd de sa résistance, et puis s'écroule. Certaines
espèces meurent, d'autres recolonisent un autre support.
Jusqu'à présent, globalement l'humanité s'est
comportée en prédateur de son biotope aussi aveuglément
que la plupart des espèces animales, ou des insectes. Mais
on arrive à un tournant intéressant : depuis un siècle,
les hommes ont acquis une telle puissance qu'ils modifient à
grande vitesse leur biotope, le bouleversant peut-être de
façon accélérée, irréversible
et fatale pour eux-mêmes. Et c'est ce niveau même d'activité
-constructrice/destructrice- qui a engendré précisément
cette connaissance, ce début de conscience de cette relation
complexe au biotope, et qui pourrait éventuellement nous
donner les moyens de trouver un autre rapport des hommes à
leur "Terre-Patrie"..
Comme vigneron, je vis dans le même
paradoxe, et les solutions ne me paraissent pas évidentes
:
Les désherbants sont une source de pollution majeure des
sols, des rivières, de l'eau. Ils tuent les sols. Ils ont
été promus par la grande industrie chimique pour faire
des profits colossaux au mépris de toutes les connaissances
qui étaient déjà acquises sur la vie des sols.
Le labour, qui a été précédé
du défrichage, n'a jamais été inventé
par nos ancêtres du néolithique par respect du sol
: il s'agissait avant tout d'une volonté des humains d'alors
de se développer. Et ces déforestations-labours sont
la première phase de la destruction des sols par une érosion
engendrée par l'activité humaine.
Les molécules chimiques de synthèse destinées
à détruire des micro-organismes (mildiou
) qui
compromettent la vendange dans les vignes plantées par les
hommes, ont certes permis dans un premier temps de mieux maîtriser
la production des raisins, d'avoir moins de dégâts,
de mieux gagner sa vie.
Mais on sait aussi maintenant que nombre de ces molécules
ont des conséquences graves sur l'homme (à commencer
par le vigneron qui les applique..) et l'environnement, avec des
effets de résistance, souvent.
Pour autant, ce n'est pas par amour du terroir que mes arrière-grands-parents
traitaient le mildiou au cuivre, c'est simplement parce qu'à
l'époque ils n'avaient rien d'autre. Et aujourd'hui, toutes
les analyses de sol des parcelles qu'ils travaillaient donnent une
concentration en cuivre exorbitante, phyto-toxique.
Pour essayer de résumer, les enjeux me semblent tels
que le culte des pratiques aveugles du passé ne me séduit
pas plus que la soumission aux intérêts financiers
irresponsables qui s'imposent encore aujourd'hui ; tels que l'adoption
de systèmes de pensée figés, ou mystiques,
ne me semble pas la bonne réponse au scientisme. Faire
du refus des molécules de synthèse la base de notre
rapport à la nature, imposerait en toute cohérence
un mode de vie global que je ne vois guère adopté
,.et
qui me paraît inadoptable
Mais soyons clair : la démarche bio a été
le premier point de résistance, dans des conditions très
difficiles, à la chimie destructrice et toute puissante.
Si son fondement philosophique, et ses capacités de réponse
fondamentale, me semblent bien fragiles jusqu'à présent,
et pour tout dire complètement insuffisants, cela n'autorise
pas pour autant les marchands de poisons et leurs clients irresponsables
à pavoiser
Et aujourd'hui, nous sommes confrontés
à l'utilisation du génie génétique
sur les vignes, les levures de fermentation
.
On ne résout pas des problèmes complexes par des
réponses simples. Nous avons à refonder notre rapport
à la nature, c'est entièrement nouveau, et pas gagné
d'avance. Echapper au cycle du pignot, est-ce possible, et comment
? Les réponses, la pensée pour les élaborer
ne sont pas déjà écrites, elles sont devant,
et demandent l'échange et l'ouverture.
Tout cela pour vous dire : Dans mes vignes, j'essaie de combiner
enherbement et travail du sol, pour parvenir à me passer
des désherbants sans aggraver l'érosion, tout en
maîtrisant la vigueur de mes vignes pour favoriser maturité
et saine sur-maturité.
Pour ce qui est des produits "phytosanitaires" : j'essaye
de concilier trois exigences :
ne pas retrouver de molécules suspectes dans le vin, utiliser
des produits les plus "propres" possibles pour l'homme
et l'environnement et avoir du raisin aux vendanges
Je n'utilise
que du soufre contre l'oïdium, mais pas de cuivre contre
le mildiou, donc des molécules de synthèse qui ne
laissent pas de résidus dans le vin. Application de deux
"insecticides" en 2000 : un de synthèse, le moins
"méchant" possible, l'autre "bio",
Bacillus thurigensis.
Pour réfléchir sur ces
questions, parmi des milliers de livres et articles :
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